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Les lichens dans l’enseignement de la biologie.

Par Marc Boulanger et Nicolas Malle

Les lichens sont des organismes pratiquement ignorés du grand public et pourtant tout à fait fascinants d’un point de vue biologique. Longtemps classés parmi les végétaux, souvent confondus avec des mousses, ils produisent pourtant des spores semblables à celles de… morilles !!! Les exploitations pédagogiques sont nombreuses avec les élèves.

Ces organismes sont capables de passer rapidement de l’état sec à hydraté de façon réversible, capables de résister à des températures extrêmes, de s’installer dans des milieux hostiles. On les trouve aussi bien en très haute montagne, là où plus une seule plante ne peut subsister, sur les tuiles d’un toit exposé aux UV, sur les rochers face à la mer, même temporairement immergés. Il a même été montré que certaines espèces étaient capables de subsister en atmosphère martienne reconstituée, ou en étant soumis aux rayons cosmiques et à l’intégralité du spectre solaire. Ces propriétés sont, pour la plupart, dues à la production de substances uniques.

Sous le microscope, ces organismes présentent une dualité de structures : d’une part de cellules filamenteuses fongiques appelées hyphes, et d’autre part de cellules vertes et rondes réalisant la photosynthèse : des algues et/ou des cyanobactéries.

On peut observer cette dualité au microscope optique avec les élèves. L’utilisation de colorants spécifiques permet de distinguer les deux partenaires.

Photo de cellules du lichen Lepraria incana au microscope optique X 600 prise par des élèves de sixième du collège Lavoisier.  Les cellules de champignon sont colorées en rouge, les algues sont les cellules rondes et vertes.

 

Au microscope électronique à balayage, on observe dans des structures de dissémination (appelées soralies) des enchevêtrements d’algues et de champignons.

Photo Sandra Ventalon et Emma Boulanger avec le MEB du dpt de géologie de Lille.

Cette coexistence entre ces deux organismes pourtant éloignés dans la classification est profitable aux deux partenaires. En effet, le champignon apporte de l’eau, des sels minéraux et des gaz, l’algue fournit au champignon des produits de la photosynthèse. Cette association est tellement intriquée que les deux partenaires sont très majoritairement incapables de vivre l’un sans l’autre. Cette association durable qui profite aux deux partenaires est appelée symbiose. C’est ainsi que l’on peut nommer l’algue le photosymbiote et le champignon le mycosymbiote. Lors de l’étude des interactions biologiques au sein des écosystèmes, il semble tout à fait approprié de développer cet exemple en première spécialité SVT.

Mais cette entraide entre les deux symbiotes ne s’arrête pas là.

Prenons l’exemple de Xanthoria parietina, lichen le plus fréquent dans la Région des Hauts de France. Ce lichen est capable de produire une substance nommée pariétine qui régule le pH (effet tampon sur la pollution atmosphérique acide) et protège les cellules des métaux lourds et des UV. Cette résistance aux UV confère à ce lichen la capacité à coloniser les rochers ou les tuiles des toits exposés au soleil.

Photo de Xanthoria parietina. M. Boulanger

Cultivés indépendamment, les deux partenaires de X. parietina présentent des structures peu organisées, et sont dénués des propriétés citées précédemment, incapables de produire la pariétine.

En revanche, lorsque l’on ajoute les polyols produits par l’algue lors de la photosynthèse à une culture du champignon de X. parietina isolé, celui-ci fabrique la pariétine.

Expériences de culture in vitro. D’après Marc Boulanger pour Sordalab à partir de données proposées par Joël Boustie (UFR Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Rennes) et les expériences de Elfie Stocker Worgotter

 

Ce sont donc les produits de la photosynthèse de l’algue qui induisent l’expression de certains gènes, responsables chez le champignon de la synthèse de cette substance.

Biogenèse des substances lichéniques (Marc Boulanger pour Sordalab d’après Mosbach 1967, Henssen et Jahns 1974, Chantal Van Haluwyn 1993)

Cette substance a pu être extraite puis recristallisée en laboratoire avec des élèves de terminale du lycée Châtelet de Saint-Pol-sur-Ternoise. Elle est observée ici au microscope optique en lumière polarisée analysée.

Pariétine observée en LPA au microscope optique Grossissement X100. Photo Marc Boulanger pour Sordalab.

Sachant que cette substance permet au lichen de résister aux UV et ainsi de coloniser des niches écologiques particulières comme les tuiles d’un toit, on comprend bien le rôle créateur au niveau écologique de cette association. D’autre part, c’est bien l’addition des génomes des deux partenaires qui a permis l’émergence ,d’un point de vue évolutif, de capacités nouvelles.

Cette étude permet en terminale d’illustrer un des mécanismes de diversification du vivant.

Les élèves du collège d’Auchel en atelier scientifique ont pu réaliser une coupe fine dans ce même lichen. On constate que sa structure est bien organisée en couches successives : une couche de filaments serrés du champignon (hyphes) nommée cortex supérieur, recouvrant une couche d’algues vertes réalisant la photosynthèse en-dessous de laquelle on observe une couche plus épaisse d’hyphes espacés où peuvent circuler les gaz (médulle). Une dernière couche permet la fixation du lichen à son support : c’est le cortex inférieur.

coupe dans un lichen foliacé. Quentin, Elève de sixième.

Cette organisation n’est pas sans rappeler celle …d’une feuille ! dont la face supérieure est constituée de cellules photosynthétiques jointives formant un tissu nommé parenchyme palissadique, alors qu’en dessous les cellules espacées laissent circuler les gaz dans le parenchyme lacuneux.

Coupe dans une feuille de Laurier feuille colorée au Carmin aluné Grossissement X400. Photo étudiants ULCO.

Il est intéressant de remarquer que la symbiose est ici source d’innovation dont le résultat converge vers une organisation obtenue par une lignée bien éloignée d’un point de vue évolutif (la feuille d’une plante).

 

Cependant, l’analogie entre le lichen X. paritina et la feuille s’arrête là.

Outre l’absence de vaisseaux chez le lichen, une particularité les différencie : l’absence de cuticule cireuse protectrice. En tout et pour tout, seul un cortex poreux recouvre le thalle. Cette particularité les rend vulnérables aux polluants atmosphériques. D’où l’idée pour les scientifiques de considérer les lichens comme des sentinelles de la qualité de l’air.

Dès 1866, Le lichénologue finlandais Nylander, installé à Paris, remarque la quasi-totale disparition des lichens et propose de considérer ces organismes comme de véritables « hygiomètres » de l’air.

Depuis, de nombreux travaux scientifiques ont montré que les lichens constituaient un matériel de choix pour la bioindication de la pollution atmosphérique. A partir de différentes méthodologies, il est possible de déduire le niveau de qualité de l’air ambiant en prenant en compte la flore lichénique sur les troncs. Par exemple, dans les années 1970 sont apparues des échelles de correspondance entre différentes espèces de lichens et les teneurs en polluants. La plus utilisée est celle de Hawksworth et Rose, basée sur un classement des lichens dans onze zones numérotées de 0 (pollution maximale) à 10 (pureté optimale) vis-à-vis du dioxyde de soufre, polluant atmosphérique majeur de l’époque. Chaque zone est caractérisée par la présence de certaines espèces, les espèces les plus polluo-sensibles étant situées dans la dernière zone numéro 10. Cette méthode, fut appliquée pour la première fois en France dans la région Nord-Pas-De-Calais (Delzenne-Van Haluwyn) puis employée dans d’autres régions, notamment en Normandie, île de France et région lyonnaise. A partir des années 1980, la pollution acide a nettement diminué et d’autres polluants ont émergé, c’est notamment le cas des oxydes d’azote NOx et des particules en suspension, liés à la circulation automobile. Les méthodes ont évolué et une échelle d’éco-diagnostic a été mise au point pour la moitié nord de la France par deux lichénologues Van Haluwyn et Lerond (1986, 1988), en tenant compte cette fois de la réponse à la pollution des communautés d’espèces et non pas des espèces prises isolément. Une trentaine d’espèces, réparties en sept zones de A (qualité médiocre) à G (très bonne qualité) ont été identifiées comme représentatives de la réponse du paysage lichénique à la pollution globale.

Dans l’académie de Lille, la réalisation de cartographies de la qualité de l’air à partir des lichens corticoles, est donc historique. Chantal Van Haluwyn, lichénologue proposa en 1973 puis en 1992 les premières cartographies.

cartographie de la qualité de l’air 1992, Van Haluwyn

JP Gavériaux alors Professeur de SVT et membre de l’Association française de lichénologie proposa, dès les années 1995, une méthode adaptée aux scolaires et relayée lors de stages qu’il anima et qui aboutit à une cartographie assez spectaculaire de la qualité de l’air, grâce à l’implication de professeurs de lycée au fil des années. En utilisant le caractère bioindicateur des lichens dans ses démarches pédagogiques, il réussit à vulgariser la lichénologie en milieu scolaire.

Depuis les années 2010, des groupes de travail à l’échelle européenne ont permis la normalisation de la méthodologie, en fournissant un cadre de référence pour évaluer la diversité des lichens épiphytes. (norme d’échantillonnage standardisée NF EN 16413 en vigueur). L’estimation de la pollution nécessite de repérer et d’identifier les espèces présentes sur les quatre faces correspondant aux quatre points cardinaux de plusieurs troncs d’arbres.

Nous avons appliqué cette méthode avec nos élèves de collège, lycée et étudiants puis relayé lors de nos stages à destination des enseignants de SVT de l’académie de Lille. Nous avons pu ainsi mettre en place une nouvelle cartographie en ligne de la qualité de l’air dans l’académie.

Extrait de la cartographie en ligne (Google map) réalisée par des élèves de collège, lycée, étudiants de l’ULCO.

La pollution azotée liée au trafic routier et aux activités agricoles, prédominante aujourd’hui, se traduit par la régression forte de nombreux lichens et donc une perte de la biodiversité lichénique mais aussi par le développement de quelques espèces dites nitrophiles (littéralement « qui aiment l’azote »). Celles-ci, de couleur dominante jaune/gris, sont désormais majoritaires partout où une pollution azotée est avérée.

Une simple observation des couleurs des lichens présents sur le tronc avec les élèves permet ainsi de présumer l’existence d’une pollution azotée sur le site étudié.

Tronc d’arbre présentant un cortège lichénique témoignant d’une imprégnation azotée forte, avec une dominance de couleur jaune/gris-vert. Photo Marc Boulanger.

Pour aller plus loin, des publications scientifiques ont mis en évidence une bioaccumulation d’azote dans un lichen commun et polluo-résistant : Physcia adscendens. Ce lichen bioaccumule l’azote, apparemment sans dommage, en quantité d’autant plus importante qu’il est présent dans l’atmosphère. (Gombert, Asta 2003).

Physcia adscendens photo Nicolas Malle.

Le caractère bio-accumulateur des lichens vis-à-vis de certains polluants, connu depuis les années 1950, peut donc être exploité pour une estimation relative d’un type de pollution entre différentes zones géographiques. Nous avons proposé durant des stages à destination des enseignants au sein de l’académie de Lille, de participer à un début de cartographie de l’imprégnation azotée de l’air, à partir d’échantillons de cette espèce, récoltées dans toute la région des Hauts De France. Le dosage de l’azote total, effectué à partir d’un analyseur élémentaire CHN, avec chromatographie en phase gaz, est réalisé par des étudiants de 2e année de l’IUT du littoral Côte d’Opale, en partenariat sur ce projet. (illustration 13) 

Analyseur CHN de l’IUT du littoral Côte d’Opale permettant le dosage d’azote total bioaccumulé dans les lichens.  Photo Nicolas Malle.

Pour les élèves de cycle 3 et 4, une méthodologie très simple, proposée par Mme Van Haluwyn, appelée Fomofa, qui permet d’évaluer la qualité de l’air en se basant sur les types de lichens présents (crustacé, foliacé et/ou fruticuleux).

Les différents types de lichens sur écorce. Photos Marc Boulanger

 

La présence des seuls lichens crustacés sur les arbres indique une pollution atmosphérique forte, la présence de lichens crustacés et foliacés, une pollution atmosphérique moyenne et enfin, la présence en plus de lichens fruticuleux indique une pollution atmosphérique faible.

Application de la méthode Fomofa par des élèves de cinquième du collège Lavoisier.

 

Plus récemment, avec l’émergence dès 1989 du Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC) et le développement des programmes de sciences participatives du Muséum National d’Histoire Naturelle, il nous est apparu évident de proposer un protocole national en utilisant la formidable capacité de diffusion des outils du MNHN comme Vigie-Nature école.

Avec 10 protocoles disponibles, de la maternelle au lycée, Vigie-Nature École propose de participer à des programmes de collecte d’informations impliquant une participation des élèves dans le cadre d’une démarche scientifique.

En respectant une méthodologie validée par les lichénologues, nous avons proposé un nouvel observatoire qui permet aux collégiens et lycéens de s’initier à la lichénologie et de réaliser un relevé scientifique, sur le terrain, permettant d’enrichir les bases de données.

Avec une longue expérience de vulgarisation de la lichénologie en milieu scolaire, nous avons progressivement adapté nos supports pédagogiques pour les rendre opérationnels et accessibles. Il s’agissait notamment d’améliorer au fil des années une clé de détermination des lichens des arbres pour les néophytes et de mettre en place un protocole simple et une fiche de terrain. C’est ainsi que nous avons co-construit ce protocole avec Laure Turcati, coordinatrice de PartiCitaE (http://www.particitae.upmc.fr/fr/suivez-les-lichens.html) et Sébastien Turpin, coordinateur de Vigie-Nature-école (https://www.vigienature-ecole.fr/).

Le détail de l’observatoire lichens Go figure ici : https://www.vigienature-ecole.fr/lichen

extrait de la clé de détermination Lichens Go Vigie Nature Ecole.

Lorsque les données collectées par cet observatoire seront suffisamment nombreuses (nous espérons cette année), l’exploitation des quartiles permettra de distinguer quatre classes de qualité de l’air. La discrimination de ces quartiles s’affinera à mesure de la compilation des données issues des relevés réalisés par les élèves.

Nous vous encourageons à participer à ce protocole !

AUTEURS

Marc Boulanger

Professeur agrégé de Sciences de la Vie et de la Terre

Lycée Châtelet de Saint-Pol-sur-Ternoise

Membre de l’Association française de lichénologie.

 

Nicolas Malle

Professeur agrégé de Sciences de la Vie et de la Terre

ULCO Boulogne-sur-Mer

Membre de l’Association française de lichénologie.

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Bibliographie

Brest, C. b. (2017). L’Hermine Vagabonde n°53. Lichens : de vrais durs à cuire. Bretagne Vivante.

Ch. Van Haluwyn, M. L. (1993). Guide des lichens . Editions Lechevalier.

FCPN. (s.d.). Les Cahiers Techniques de la gazette des terriers. Lichen de quoi ai-je l’air ? .

Selosse, M.-A. (2017). Jamais seul. Actes Sud.

Van Haluwyn, A. G. (2005). Bulletin mycologique et botanique Dauphiné-Savoie. FMBDS.